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Virtualisme et fictionnement pour un retour à l’ancien ordre mondial

version mise à jour

lundi 4 juillet 2005

Que masque le "virtualisme", la construction médiatique du réel ? Contribution à la compréhénsion du monde contemporain en référence à la thèse du virtualisme défendue par la revue http://www.dedefensa.org

Le virtualisme, c’est la reconstruction médiatique du réel en fonction de credos politiques et des intérêts économiques et institutionnels dominants. Le virtualisme consiste d’une part à produire un discours virtuel et à le faire passer pour la réalité et d’autre part à passer sous silence tous les aspects de la réalité qui ne sont pas conformes à ces credos et à ces intérêts. La concentration de la presse, de l’édition (y compris scientifique) et des médias aux mains de quelques grands groupes financiers, industriels et d’armement ; l’emprise captative toujours croissante de l’industrie médiatique du spectacle de masse ; tout cela donne au virtualisme contemporain une vocation hégémonique non seulement sur l’opinion, mais également sur les conditions de l’exercice de la pensée et sur les formes de la représentation elles-mêmes.

Le virtualisme omniprésent qui recouvre et masque notre la réalité et s’y substitue, masque égalemement la transformation de ce réel par l’effet de l’art politique et de l’influence économique.
Ainsi, la part d’illusion du virtualisme qui préside à la politique américaine dans le monde - en Irak par exemple - est aisée à démasquer, tant la fiction plaquée sur le réel et les mensonges assénés sont grossiers. Mais il reste à mieux analyser le "fictionnement" en cours, qui transforme la réalité politique et économique par delà les fables virtualistes et grâce à elles, et cela avec un réalisme et une prospective impitoyable.

En effet, si le virtualisme est chaque jour mis en défaut comme une représentation erronée et caricaturale du réel, comme une pure projection du système, de ses préjugés et de ses intérêts à la fois contradictoires et convergeants, et bien il n’en reste pas moins qu’il participe directement à la construction d’une nouvelle réalité, de nouvelles perception. L’exemple Irakien montre que ses "provocations", ses "maladresses", sa "stupidité" elles-mêmes créént une nouvelle situation, de nouvelles perceptions, de nouvelles réactions, attisent de l’hostilité et des oppositions, génèrent des revers sur le terrains : regain de terrorisme, révoltes, oppositions politiques. Les analystes qui baignent dans le virtualisme et le spectaculaire commentent généralement ces ces contre-coups, ces retours de réalité comme des échecs politiques. Les analystes qui critiquent et dénoncent le virtualisme y voient le plus souvent des échecs de celui-ci. Rares sont ceux qui pensent le virtualisme en relation avec le fictionnement du réel qui s’opère à travers lui et parfois à l’encontre de ses valeurs explicitées.

Or quel est le réel ainsi fictionné, créé par le virtualisme ? Quelle est la réalité du monde de demain qui se dessine par son effet combiné à celui de la force brutale. Bien-sûr pas celui qu’il vise explicitement à établir, bien qu’il ne s’en cache pas. Quel est-il ?

Tout concourre à penser que le virtualisme à la fois révèle, masque et accomplit une vision du monde compatible avec les valeurs, les comportements et les intérêts d’une génération de dirigeants -économiques, militaires et politiques- qui ont été gagnants dans le contexte économique d’équilibre géo-capitalistique de la guerre froide. C’est tout simplement cette réalité-là qu’il s’agit pour eux de "recréer autrement", autant que de conserver, bouleversée qu’elle est par la chute du mur, la prévisibilité d’une crise sociale sans précédent en Occident par suite de la mondialisation, l’émergence de la Chine comme ressource financière excédentaire à la place du Japon et qu’il s’agit d’ancrer dans la logique de transferts financiers avec la zone déficitaire Etats-Unis et Europe.
Si telle est la réalité fictionnée sous nos yeux, de façon systématique, ostensible mais brouillée sous le bavardage virtualiste, alors même les "maladresses", les "bévues", les "erreurs psychologiques", les "provocations" trouvent une explication et révèlent l’envers de la médaille du virtualisme qui montre son visage de réalisme cynique. Alors la guerre contre le terrorisme -que l’on a annoncé "globale et permanente" comme l’a été la guerre froide-, de la guerre Irakienne en tant que ferment de "guerre des civilisations", le soutien inconditionnel à la guerre coloniale israélienne, et peut-être même l’absence coupable d’anticipation suite aux informations annonçant les événements déclencheurs du 11 septembre 2001 qui seraient alors à rapprocher du précédent de l’attaque sur Pearl Harbor en matière de préparation psychologique à l’effort de guerre ; alors l’appel de fonds publics sans précédent aux USA pour le budget de la défense, c’est à dire de capitaux gagés sur la croissance asiatique pour relancer l’économie américaine, alors les tortures à caractère pornographique mise en scène et diffusée au monde arabe ainsi que ses conséquences "civilisationnelles" cessent d’être les "bourdes" de virtualistes dépassés par la réalité, mais se déploient sous nos yeux comme une pratique sensée de "fictionnement" d’un ennemi politique et militaire, conduite avec réalisme et sans états d’âme. Il est vrai que les bons sentiments sirupeux du virtualisme hollywoodien impregnent désormais à ce point les analystes politiques, économiques, les médias et le public dans le monde entier qu’il est devenu inconvenant de formuler ou de publier tant de cynisme. Le commentaire de la politique américaine réelle de confrontation avec le monde arabo-musulman est laissé à l’impuissance des discussions dans les cafés du commerce. L’opinion publique mondiale, virtualisée et construite médiatiquement, reste circonscrite dans des modèles de comportement prévisibles. En cas de sursaut de l’opinion réelle, comme en Espagne au printemps 2004, c’est l’erreur grossière d’un Aznar se trompant de scénario pour répondre politiquement aux attentats de Madrid qui a provoqué un sursaut tout en révélant un pan du cynisme et de la systématisation du mensonge à grande échelle pratiqué par les exécutifs.

Il apparaît que le virtualisme est au service de la reconstruction d’un monde bien connu. Les virtualistes américains post-modernes, armés à crédit par la sueur des ouvrières chinoises pour conduire la "guerre sans fin contre le terrorisme" ne créent pas un "nouvel ordre mondial", ils ne font que tenter de prolonger l’ancien, avec quelques changements de rôles ; la Chine nouvelle remplaçant le Japon rassi comme puissance investisseuse et bailleuse de fonds ; le monde musulman et le mouvement social global assimilé au terrorisme remplaçant la menace communiste. Ce modèle, qui est celui de la relance constante de la croissance économique par l’effort de guerre, est en effet la panacée amère que s’administre avec constance l’Amérique libérale, et à sa suite le capitalisme mondial depuis la grande dépression de 1929, l’échec du new deal et le salut économique qu’opéra la seconde guerre mondiale(1).

Face au caractère foncièrement instable d’une écomomie de profit que ne trouve d’équilibre que dans la surchauffe -la croissance -, et où l’état est censé ne pas intervenir, seule la guerre, sa réalité ou son spectre peut justifier aux Etats-Unis l’injection massive et toujours croissante de fonds publics. Le 11 septembre 2001 a fourni le moyen de réalimenter en charbon la locomotive du complexe militaro-industriel qui tire sans fatigue depuis 1937 le train du capitalisme américain. Après la guerre du Vietnam et ses horreurs médiatisées, ce complexe a investi massivement dans l’édition, la presse, les médias afin de les contrôler et ainsi contrôler l’univers de représentation des opinions nationales et mondiales. Le virtualisme que nous connaissons aujourd’hui n’est que l’expression de ce contrôle.

Dans ce contexte, outre les incalculables dégâts humains et sociaux déjà vécus et prévisibles, deux dangers guettent : la perte de l’essence-même de l’humanité et de sa conscience d’elle-même dans la virtualité construite avec des moyens inégalés pour à la fois accomplir et masquer la réalité de la domination ; un scénario global sur le modèle de la catastrophe écologique de l’Ile de Pâque sur une planête désormais trop petite pour nous permettre sans risque majeur un nouveau cycle de "croissance" de 30 ans prévisible selon ce modèle.

(cl) copyleft avec mention de la source http://notv.info
Pascal Bitsch mai 2004

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Bibliographie :
(1) "Le monde malade de l’Amérique", Philippe Grasset, éditions EVO, Bruxelles, février 1999. Extraits ici

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