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Hautepierre

Du droit à la parole des collégien-ne-s.

après la Manifestation des élèves du collège Truffaut à Hautepierre

samedi 4 février 2006

une manifestation pour se faire entendre ?

Vendredi 13 janvier 2006, dans l’après-midi, des élèves du collège Truffaut à Hautepierre ont manifesté devant leur établissement pour protester contre le mépris et l’injustice qu’ils-elles estiment subir et exiger le retour d’un surveillant contraint au départ par la direction du collège. S’il y a eu des jets de pierres sur le collège en début de manifestation, les élèves-manifestant-e-s ont globalement privilégié la communication : distribution de tracts et de pétitions, slogans, discussions avec celles et ceux qui souhaitaient comprendre. Les revendications figuraient sur un tract distribué pendant la manifestation.
J’avais entendu parler de cette manifestation la veille. Je ne savais quoi en penser mais je me suis dit que de toutes façon, s’il s’agissait bien d’une manifestation de collégien-ne-s, mieux valait que des adultes soient présent-e-s en cas de débordements. En outre, cela m’intéressait : le droit à la parole des enfants et des adolescent-e-s est une de mes préoccupations. Après tout, une manifestation de collégien-ne-s est un évènement assez exceptionnel, et on entend rarement leur point de vue dans les débats publics sur l’école. Je me suis donc rendue à cette manifestation dans l’intention d’interviewer les élèves et de rédiger un article pour des médias alternatifs qui relaient leur point de vue - quoi que j’en pense.
Il faut préciser que des adultes - parents d’élèves, membres de l’équipe éducative… - ont estimé après la manifestation que ces élèves avaient été manipulé-e-s. Rien dans les propos des élèves que j’ai entendu-e-s ne confirme cette thèse et je ne dispose d’aucune information qui me permette d’affirmer une telle chose. De plus, lors de la manifestation, il ne s’est trouvé aucun-e adulte qui se soit présenté-e comme porte-parole ou qui semblait diriger les élèves. En outre, pour moi, la manipulation supposée ou réelle n’empêche nullement d’écouter ce que les élèves ont à dire. Ce que je voulais c’est entendre de la bouche de ces élèves ce qui les avait amené-e-s à faire cette manifestation. A défaut de preuves, je considère donc qu’il s’agissait bien d’une manifestation de collégien-ne-s.

Durant une heure trente, j’ai eu l’occasion d’entendre une vingtaine de collégien-ne-s, autant de filles que de garçons, qui ont parlé spontanément et - faut-il le préciser ? - avec courtoisie.

Point de vue de collégien-ne-s.

Ils-elles ont parlé de leur vie à l’école, de leurs relations avec les adultes du collège. Leurs propos décrivent une réalité choquante. Ce compte-rendu ne prétend pas décrire des faits avérés ; il ne m’est pas possible d’aller vérifier ce qui se passe réellement au collège Truffaut. Ce compte-rendu n’a pas pour but de mettre les adultes du collège en accusation. Il tente de restituer ce que des élèves ont dit, un point c’est tout.

La plupart des élèves qui se sont exprimé-e-s, ont parlé du comportement qu’avaient des adultes du collège avec eux. Pour qualifier ces comportements, les mots qui reviennent sont : « le mépris », « la méfiance », « le manque de respect », et « l’injustice ».

Dans l’ensemble, ces collégien-ne-s se plaignent de ce que des adultes, surveillant-e-s, enseignant-e-s, membres de la direction, leur « crient constamment dessus » et leur infligent souvent des sanctions - punitions, renvois - sans leur donner d’explications et qui leur paraissent injustifiées. Quant à la nature de ces sanctions, une élève cite en exemple ce qu’elle appelle « une drôle de punition » : un professeur de sport qui exige d’une élève qu’elle fasse cinquante pompes.

Selon plusieur-e-s élèves, il est fréquent que des enseignant-e-s les « insultent » ; l’un d’entre eux-elles précise que des professeurs traitent des élèves de « cons ». Des élèves donnent des exemples de remarques vexantes - « t’as pas d’éducation » - décourageantes - « de toute façon tu n’y arriveras pas, tu n’as pas le niveau » - en réponse à une élève qui évoque ce qu’elle voudrait faire plus tard, méprisantes - « de toute façon, vous n’arriverez jamais à rien ». Une élève dit qu’elle pense que certain-e-s professeur-e-s sont racistes ; à la question « pourquoi tu penses ça ? » elle répond : « c’est le regard, il y a du mépris dans le regard ».

Plusieur-e-s élèves reprochent à un membre de l’équipe pédagogique de fumer dans son bureau (certain-e-s vont jusqu’à affirmer qu’il fume des joints). Ce qui semble les déranger particulièrement, c’est que cet adulte, qui exige que le règlement soit respecté, transgresse ce même règlement et de plus, ouvertement. Certains précisent que lorsqu’ils sont convoqués dans son bureau « ça sent mauvais », « il y a de la fumée » et « que c’est un mauvais exemple pour les petits ». Des collégiennes se plaignent de ce qu’une des membres de la direction du collège les bouscule fréquemment dans la cour en les saisissant par le bras et selon elles sans raison.
Des élèves évoquent une « ancienne CPE » qu’ils-elles regrettent et avec qui les relations étaient bonnes.

Pour les élèves qui se sont exprimé-e-s, certaines obligations sont perçues comme particulièrement pénibles, voire arbitraires.
Ainsi, il existerait au collège Truffaut d’étranges interdits vestimentaires.
Des élèves expliquent qu’en hiver, dans la cour, alors qu’il est obligatoire « de passer la récréation dans le froid », il est interdit de porter un bonnet ou une capuche. Ils-elles ne savent pas pourquoi. L’un d’entre eux-elles suppose que c’est pour les reconnaître plus facilement. De même en sport, bonnets et écharpes seraient interdit-e-s.
Des collégiennes décrivent des interdits vestimentaires auxquels - seules les filles ( ?!) - seraient soumises en été : interdit de porter « des sandales », « des débardeurs », « des dos-nus », « des pantalons taille basse » et l’une d’elle ajoute « des jupes courtes ». A la question « est-ce que cette interdiction vient bien du collège et non d’ailleurs (les copains, la famille…) ? » elles répondent que c’est bien la direction du collège qui l’interdit.

Plusieurs collégiens protestent contre l’obligation de montrer le carnet de liaison au portail, à l’entrée comme à la sortie. « On sait pas pourquoi ». Ainsi, lorsqu’ils-elles arrivent au collège, on les accueille avec un « carnet !! » en guise de bonjour. Ces élèves expriment leur « ras-le-bol » des incessants contrôles et d’une situation de perpétuelle méfiance.
L’un d’eux fait le rapprochement avec ce qu’ils vivent à l’extérieur du collège. Il décrit la pression policière qui règne dans le quartier et qui n’épargne pas les collégien-ne-s. Des C.R.S. patrouillent tous les jours dans les rues de 14h30 à 01h30 du matin. Ils insulteraient fréquemment les collégien-ne-s (tout comme d’autres jeunes ou moins jeunes) et il leur arriverait de montrer leur flash-ball en disant « on va vous canarder ». Les collégien-ne-s, comme les autres jeunes, sont contrôlé-e-s fréquemment, parfois même devant le collège. Ces contrôles sont « musclés », ils-elles sont « plaqué-e-s », « insulté-e-s » parfois « giflé-e-s ». Des policier-ère-s avec des chiens, « la canine », menacent parfois des collégien-ne-s de lâcher leurs chiens sur eux. Il y a également la police dite « de la Maille »1, qui un temps fut plus pacifique, mais avec qui les relations ont dégénéré depuis la période dite « des émeutes » - précisons qu’il n’y a pas eu à proprement parler « d’émeutes » à Hautepierre à cette époque. L’élève cite l’exemple récent d’un de ses camarades qui prenait des photos dans le quartier, qui a été violemment saisi par des policiers de la Maille et traîné par terre. Il explique également que lorsque des policier-ère-s contrôlent une voiture du quartier, ils-elles la fouillent de fond en comble, « soulèvent les tapis et démontent les lampes ».
D’après les propos de cet élève, les collégien-ne-s de Truffaut vivent en permanence dans une ambiance répressive, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du collège.

Lorsqu’il s’agit des surveillant-e-s du collège, les élèves qui se sont exprimé-e-s donnent un point de vue plus contrasté : ils-elles parlent tout aussi volontiers de surveillant-e-s qui sont apprécié-e-s que de celles et ceux qui ne le sont pas.
Des collégiens insistent particulièrement sur le fait que les relations entre élèves et surveillant-e-s n’ont rien à voir avec de supposées origines communes « des quartiers » ou « bledard-e-s » ou un lieu d’habitation commun « du quartier ». Ainsi, ils-elles citent l’exemple d’un surveillant « des quartiers » qui ne travaille plus au collège et qui était détesté, et de deux surveillantes « des quartiers » qui ont de bonnes relations avec les élèves.

A propos du surveillant qui a été licencié (2), et dont les élèves-manfiestant-e-s réclament le retour, des élèves expliquent pourquoi elles l’apprécient :
’- Il respecte les élèves,
’- ce surveillant est un des rares adultes avec qui les élèves peuvent parler ; il les « écoute »,
’- « c’est le seul qu’on écoute »,
’- ce surveillant n’est pas « des quartiers » mais habite actuellement le quartier. D’après son témoignage, c’est précisément ce que lui reprocherait la direction du collège ainsi que d’être trop proche des élèves. C’est pourquoi, au terme de sa période d’essai, il a été licencié, bien que rien ne lui ait été reproché sur son travail durant cette période. Les élèves qui se sont exprimé-e-s, à l’instar de certains parents d’élèves, trouvent cette mesure injuste.
Des élèves parlent du remplaçant de ce surveillant, qu’ils qualifient de « bledard » ou « du bled ». D’après eux, ce surveillant leur parle plus souvent en « arabe » qu’en français et crie beaucoup. Ils ne comprennent pas pourquoi la direction du collège a choisi un surveillant qui s’adresse à eux en « arabe » alors qu’eux parlent français.
D’une manière générale, ce qui est ressorti des propos des élèves concernant les surveillant-e-s, c’est qu’ils-elles ont l’impression d’être sans cesse renvoyé-e-s à leur supposée origine « des quartiers », « bledard », qu’ils ne l’acceptent pas, et que ce qui leur importe dans leurs relations avec les adultes, surveillant-e-s ou autres, c’est le respect mutuel et l’écoute.

Que vaut la parole d’un-une collégien-ne ?

Nous, adultes, avons tendance à nous méfier de la parole des adolescent-e-s, d’autant plus si ils-elles sont très jeunes - des collégien-ne-s - plus encore si ces adolescent-e-s sont turbulent-e-s. Certes les adolescent-e-s peuvent se tromper, mais se trompent-ils-elles plus que des adultes - des journalistes par exemple ? Pourtant, nous nous intéressons à ce que disent les journalistes. Certes les adolescent-e-s mentent, parfois, souvent…, mais mentent-ils-elles plus que des adultes - des femmes et des hommes politiques par exemple ? Pourtant, nous nous intéressons à ce que disent les femmes et les hommes politiques, même quand nous savons qu’elles-ils mentent. Alors pourquoi ne pas écouter ce que disent des collégien-ne-s ? En admettant qu’ils-elles mentent, est-il vraisemblable qu’ils-elles participent à une manifestation pour se faire entendre, qu’ils-elles s’exposent à des risques de répression et de sanctions, tout ça pour ne raconter qu’un tissu de mensonges ? On peut douter de l’impartialité de leur propos mais il conviendrait au moins d’aller vérifier (avis à celles et ceux qui ont le droit de mettre les pieds dans un collège…). Il est possible que certains de leurs propos reflètent moins la réalité que la perception qu’ils-elles en ont, mais on peut au moins se demander pourquoi ils-elles perçoivent les choses ainsi. On peut essayer de voir les choses avec leurs yeux. Il serait également intéressant de savoir si d’autres élèves, au collège Truffaut, dans d’autres établissements, partagent le point de vue de celles et ceux qui se sont exprimé-e-s ici.

Des adultes du collège ont-ils tenté un dialogue avec les collégien-ne-s durant la manifestation ? La direction du collège a-t-elle souhaité rencontrer une délégation d’élèves manifestant-e-s ? Ou plus simplement, a-t-on ou va-t-on parler de cette manifestation en classe ? A-t-on interrogé les élèves sur les raisons de leur mobilisation ?

Ce que les médias ont retenu, ce sont les jets de pierres. Sans en sous-estimer la gravité, il convient de préciser certains faits.
Les trop rares adultes qui étaient présent-e-s, quelles que soient leurs raisons (d’accord ou pas avec la manifestation, médiation, observation…) ont pour la plupart fait ce qu’ils ont pu pour empêcher les débordements. S’ils-elles n’ont pu empêcher les jets de pierres, c’est qu’ils-elles étaient trop peu nombreux-ses - tout au plus une dizaine.
Par ailleurs, il était difficile, voire impossible de repérer des élèves qui lançaient des pierres, ceux-ci se trouvant dispersés parmi la grande majorité des élèves qui n’en lançait pas. Je reste convaincue que les élèves qui lançaient des pierres agissaient plutôt par inconscience et excitation, sans quoi, leur agressivité se serait retournée contre les adultes présent-e-s qui tentaient d’empêcher les débordements.
Donc des jets de pierres certes, mais en début de manifestation ; une majorité d’élèves qui ne faisaient rien de mal : peut-on parler d’émeute ?
Les journalistes présent-e-s à la manifestation ont-ils-elles interviewé des élèves ? J’ai pu constater que les interviews focalisaient l’attention d’un nombre croissant d’élèves, bien que je leur aie dit que je n’étais pas journaliste. Autour des élèves qui s’éxprimaient se formaient des attroupements, et l’on me demandait fréquemment si j’étais « de France 3 » ou « des DNA ». Lorsque je leur ai suggéré d’aller trouver les journalistes - qui étaient bien présent-e-s en début de manifestation - les jets de pierres avaient cessé. Les journalistes étaient introuvables : étaient-ils-elles moins nombreux-ses, dispersé-e-s parmi les élèves, ou tout simplement parti-e-s ?

Il n’y a pas eu d’affrontement avec la police pendant la manifestation. Une parente d’élève m’a dit avoir discuté avec la police et avoir obtenu qu’elle se tienne à l’écart pour éviter d’accroître les tensions. Cependant, six collégiens et un lycéen ont été arrêtés le vendredi en fin d’après-midi et le samedi matin. Sept adolescents de 13 à 17 ans ont été placés en garde-à-vue pendant près de 48 heures ! Sur quels critères ont-ils été arrêtés ? L’un d’entre eux n’a même pas participé à la manifestation, il était en cours… Nous savons à l’heure actuelle qu’à l’issue de la garde-à-vue l’un d’entre eux pourrait être inculpé pour dégradations et que pour d’autres aucune charge n’a été retenue. Donc des adolescents subissent 48 heures de garde-à-vue pour rien ou pour des vitres cassées !

Durant la période dite « des émeutes urbaines », on a pu lire maintes fois dans les journaux que les jeunes habitants des quartiers ne savent pas exprimer leur colère, qu’on ne s’exprime pas « en brûlant des voitures ». Qu’à cela ne tienne, les élèves du collège Truffaut ne brûlent pas de voitures, ils font une manifestation. Cette manifestation n’était pas tout à fait dans les règles de l’art, mais c’était peut-être leur premier essai de mobilisation.

Les médias, ou celles et ceux qui s’y expriment, ne cessent de déplorer l’absence de dialogue avec les jeunes habitant-e-s « des quartiers », mais là, pendant cette manifestation, il était possible de dialoguer et ce sont de jeunes habitant-e-s du quartier de Hautepierre qui en ont fourni l’occasion.
Combien d’adultes l’on fait ? Qui s’intéresse véritablement à ce que ces collégien-ne-s ont à dire ?

Au fond, dans un collège, qui s’exprime ? Les enseignant-e-s et les membres de la direction, mais à condition d’être consensuel-le-s. Les parent-e-s d’élèves, un peu, mais pas tout le monde et pas n’importe qui. Les élèves, pas du tout, si ce n’est pour la forme, une fois par trimestre, au conseil de classe, par la voix de leurs délégué-e-s de classe.

Les collégien-ne-s ont si peu le droit la parole dans leur collège. Font-ils-elles une manifestation pour se faire entendre, on y répond par des arrestations et les sanctions. Alors quand ont-ils-elles droit à la parole ?
Si l’on estime qu’ils-elles ne sont pas assez mur-e-s pour que leur parole vaille d’être prise en compte, comment peut-on les trouver assez mur-e-s pour subir une garde-à-vue de 48 heures ? Rappelons que cette expérience est très dure et très éprouvante, y compris pour un adulte !

Judith

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