Accueil > Rubriques > Vigilance citoyenne > Lettre de Brice Petit diffusée par Moriturus

Lettre de Brice Petit diffusée par Moriturus

avril 2006

vendredi 23 juin 2006

DEUX ANS DE PALAIS - à propos du verdict du 6 avril 2006 dans l’affaire
Petit / Maulpoix - à ceux qui m’ont soutenu et qui auront la patience de
lire.

Cairanne, le 8 avril 2006 Aux nombreux amis, poètes, proches, citoyens
qui m’ont soutenu pendant deux ans, je voudrais faire part de ma plus
vive reconnaissance. A l’écoute du verdict qui m’a innocenté aussi bien
de l’accusation d’outrage que de celle de diffamation, je n’ai pu que
penser à vous. Ces deux dernières années d’un combat souvent
désespérant, épuisant, harassant, j’ai voulu les traverser pour plus que
moi c’est-à-dire pour chacun. Pour ceux, notamment, que la loi d’outrage
emprisonne chaque jour injustement parce qu’ils n’ont ni la parole ni
les moyens financiers d’être défendus correctement. Un seul espoir
m’anime aujourd’hui : que nous soyons parvenus à ouvrir une brèche dans
l’injustice systématique qui règle le rapport entre la police souvent
autoritaire de ce pays et les citoyens ; que modestement ce précédent,
cette trace laissée dans le palais de justice de Montpellier, serve à
d’autres que moi et ceci : grâce à vous. Il y a bientôt deux ans, dans
la cave des garde-à-vue, j’ai échappé de peu à une comparution
immédiate, procédure qui tous les jours viole l’esprit même de la
justice. Il en aurait résulté certainement une condamnation écrasante.
Sans défense organisée ni témoins, la prison, la matraque financière, la
confiscation de mon métier me menaçaient probablement. Deux ans plus
tard, les accusations mensongères qui me harcelaient ont volé en éclats.
Mes accusateurs n’ont pas dit la vérité ; la justice, dans mon cas, a
entendu et compris. Cette incroyable ellipse judiciaire entre une
procédure expéditive qui terrasse nombre d’étudiants à l’heure actuelle
et un vrai procès n’a qu’un nom : l’argent. Que l’on ne s’y trompe pas,
j’ai eu droit à ce que je peux dire être « un procès de riche ». Grâce à
mon excellent avocat, Maître François Roux (dont M. Maulpoix n’a pas
voulu), grâce à une relative médiatisation, grâce surtout à votre
soutien financier profond, nous avons pu mener une lutte juridique digne
de ce nom c’est-à-dire susceptible de faire affleurer la condition même
de notre liberté : la vérité. Avant moi, après moi, dans ces mêmes cours
de justice, il sont et seront nombreux ceux que le dénuement mènera à un
jugement tronqué. Les deux procès que j’ai eu à subir auront duré 13
heures en tout ; combien, confrontés à la police, sont condamnés en un
quart d’heure chaque semaine ? La vérité est exigeante, elle demande du
temps et un langage. Le moins que l’on puisse dire est que notre pays ne
fournit cela qu’à ceux qui en ont les moyens. Si je me suis permis d’en
appeler plusieurs fois à chacun d’entre vous, c’est que je savais qu’un
homme seul, isolé, n’a que peu de voix. C’est aussi que je crois aux
vertus du mot « ensemble ». Ce mot « ensemble » que Paul Celan a fait
briller au plus haut du poème d’après 1945 s’adresse avant tout à ceux
qui n’ont pas la parole : dans la France d’aujourd’hui, ils sont une
foule que les institutions harcèlent ; le poème, la parole vivante sont
tournés vers leurs visages. Je me réjouis que cette bataille
désintéressée ait tourné en faveur de la vérité, de la parole franche,
du désir de vivre autrement ensemble. En revanche, la condamnation qui
frappe M. Maulpoix est tout simplement exorbitante, la somme qu’on lui
demande (5000 euros) n’a d’autre fonction que de sauver la face de
quelques fonctionnaires entraînés aux frontières de la loi par une
politique sécuritaire dangereuse et délétère. Je n’ai eu de cesse de
prévenir chacun contre ce danger : non, la république n’est pas
naturellement juste, elle demande à tous un engagement fort afin de
devenir le projet qu’elle contient.

Cela fait plus de six mois que mes relations ont cessé avec M. Maulpoix
et ses amis d’un comité de soutien où je n’avais aucune part. Dès les
premiers mois de cette affaire, j’ai eu plus à souffrir qu’à me réjouir
de ce que M. Maulpoix appelle sa solidarité. Pourquoi ? Je pars du
principe que la vérité et la justice n’ont ni à rougir ni à s’encombrer
de regrets, de remords dont la première conséquence est de paralyser
l’action. Je me suis employé à agir résolument. Une pétition a été
adressée au Ministre de l’intérieur de l’époque, M. de Villepin,
pétition signée par les plus grands noms de la poésie française.
L’amateur de poésie de Villepin n’a pas daigné y répondre. Ce monsieur,
bien avant les événements actuels, affichait déjà cette surdité
méprisante à laquelle il n’a plus cessé d’être fidèle. Je ne regrette
rien des termes de cette lettre ouverte : elle me semble a posteriori
avoir su prendre le véritable pouls d’un pays malade. M. Maulpoix, sous
des prétextes qui m’ont toujours paru étranges, a refusé de signer cette
lettre. Tandis que je disais : action, il me répondait systématiquement
 : prudence et attente. Que les choses soient claires une fois pour
toutes : le texte qui m’a valu une accusation pour diffamation n’a
jamais été adressé, par moi ni par mes amis, à aucun site internet. Ceux
qui l’ont publié l’ont fait de leur propre initiative ; ce texte leur
est parvenu par des relais que je ne connais pas et qui n’ont pas daigné
se manifester par la suite. Qu’importe, je me suis tenu, un an et demi
durant, pour solidaire de M. Maulpoix. En première instance, alors que
M. Maulpoix avait refusé de signer la pétition et qu’il faisait obstacle
à une véritable médiatisation, plus que nécessaire, j’ai été condamné à
3000 euros, avec lui, pour diffamation. Il ne coûtait rien alors à M.
Maulpoix de m’innocenter en disant simplement la vérité : je ne l’ avais
pas sollicité, pas plus que Cédric Demangeot, pour qu’il publie ce
texte, il l’avait fait sans notre accord. Dans cette affaire de
diffamation, il est temps de dire la vérité : c’était moi « l’entraîné
 », pas M. Maulpoix. Alors que je me battais chaque jour pour la relaxe
dans l’accusation d’outrage, relaxe que j’ai d’ailleurs obtenue deux
fois, il s’est avéré très vite impossible de mener pareil combat pour la
question de la diffamation. J’ai avalé ces couleuvres. Humainement, je
ne le regrette pas, je ne m’en suis, à l’époque, jamais plaint, j’étais
prêt à payer cette amende juridiquement infondée me concernant, n’ayant
aucune responsabilité dans la publication de mon texte si ce n’est celle
de l’avoir écrit et qu’il m’ait échappé. Cela ne me gênait même pas du
moment que la cause pour laquelle je m’étais engagé avance. Lorsque les
policiers et le parquet font appel de la décision des juges en septembre
2005, j’attends désespérément une réaction de M. Maulpoix. Il était en
effet temps d’agir. Mon épuisement moral touche à son paroxysme ; je
suis admis en clinique psychiatrique pour plusieurs semaines. Quelle est
la réalité de ma vie à ce moment-là ? Je suis isolé et de plus en plus
suspect dans mon lycée, je subis des enquêtes des renseignements
généraux, des proches dans ma famille m’abandonnent, les syndicats
d’enseignants m’oublient. Manifestement, le ton de franchise que
j’adopte n’a rien pour plaire et surtout pas cette volonté qui a
toujours été la mienne de mener ce combat en direction de mes
concitoyens. Messieurs Maulpoix et Bon organisent enfin une conférence
de presse à la maison des écrivains, conférence de presse
malheureusement très privée où le mot d’ordre, une fois de plus, n’est
autre que l’attente et la passivité. Je sais avoir écrit à cette époque
à l’intéressé qu’il nous entraînait vers une défaite que pour ma part je
refusais. Sa réponse m’apprend alors que nos stratégies diffèrent et
donc se séparent - comme si elles s’étaient jamais accordées ! Au comité
de soutien que ces gens fondent, j’envoie un texte qui sera publié
amputé, tronqué, censuré. Je n’ai par la suite plus rien écrit à ces
gens-là qui se sont servis de mon nom pour leur propre cause et pour
lesquels je n’avais de valeur que muet. Très vite, en effet, la question
centrale pour moi de l’outrage, des injustices policières : la question
de départ est recouverte au profit de la question tellement plus
correcte d’internet. Ce bâillon, je ne l’oublie pas. J’ai assisté à la
défense de M. Maulpoix dans les deux procès ; peut-on se mettre, et donc
nous mettre, en danger d’une façon plus évidente ? Faire part de sa
mauvaise conscience et de ses regrets, d’une gêne, d’un malaise, est-ce
la meilleure manière de plaider son innocence ? Dire que l’on est
injustement la seule victime, que d’autres sites ont publié le texte
incriminé, que ces sites n’ont pas été accusés, se défausser sur autrui
d’un geste courageux au lieu d’organiser une réaction de solidarité de
tous les sites en question, voilà qui m’a toujours paru très en deçà de
ce qu’une telle lutte implique. La vérité et la bonne foi ne parlent pas
cette langue. Pour moi, je suis allé à la barre avec mes témoins
remarquables de courage et de lucidité, des citoyens vivants, et nous y
avons dit la vérité sans rougir ni baisser la tête ; nous n’avions rien
à nous reprocher, rien à cacher et c’est cette voix-là qui a été
entendue. Il est vrai qu’il faut pour cela donner de sa personne. M.
Maulpoix n’a jamais voulu s’appuyer sur cette évidence : le 28 avril
2004, une sale machination avait été commise qui justifiait sa réaction.
Il lui suffisait de se laisser porter par la vérité dont nous étions
porteurs. Cette défense sans calcul, qui était la seule valable, il n’a
pas souhaité la faire sienne. Au fond, je me demande s’il a jamais pris
la mesure de ce qui se jouait, de la violence d’état que cette affaire
impliquait, de la souffrance de ceux qui ont à subir pareil sort. Tant
pis. A France Culture, il y a quelques semaines, je me suis encore
étonné du refus de M. Maulpoix de se joindre à la pétition destinée à de
Villepin. A ma voix lointaine, enregistrée une semaine plus tôt en
province, M. Maulpoix a répondu dans le confort du direct et donc du
dernier mot. Je suis heureux qu’il ait enfin dit ouvertement le fond de
sa pensée me concernant. J’ai ainsi entendu que je me conduisais en « 
martyr », que mon ton était « persifleur », que je me « drapais dans des
poses romantiques », que j’étais pour finir « un donneur de leçons ». Ce
que je comprends dans ces viles attaques c’est qu’on aurait souhaité que
je passe mon temps à me taire, que l’injustice impitoyable qui pesait
sur mes épaules ne trouve pas le ton d’indignation voire de révolte qui
lui convient. Je ne suis certainement pas amateur du vent atlantique et
des postures qu’il procure, je le suis encore moins des victimes
expiatoires. C’est bien pour cela que le 28 avril 2004 je n’ai pas
accepté qu’un homme fût battu sur l’autel de la république sécuritaire.
La seule chose de juste que j’ai enfin entendue de sa part, c’est que
nous n’avions pas « la même poétique ». C’est vrai. Le poème tel que je
l’entends ne craint ni la vérité ni le réel. Ce que je constate, après
ces deux années éreintantes, c’est qu’il n’est pas d’institution prête à
s’engager en faveur des valeurs qui font de nous des hommes vivants. La
solidarité prend corps dans les marges vives. A l’absence de soutien de
la communauté enseignante a répondu la sollicitude de nombre de mes
anciens élèves. Deux d’entre eux sont allés jusqu’à fournir au tribunal
des témoignages de moralité sur l’homme que je suis et qu’ils
connaissent. Que ces jeunes citoyens, qui passent souvent de loin, en
cette matière, ceux censés les instruire, soient remerciés de tout cœur.
Au désir des institutions littéraires de voir mon cri assourdi ont
répondu les poètes, les lecteurs, qui savent les vertus de l’ombre et du
retrait. Au silence de la plupart des journaux (merci à Thierry
Guichard, à Pierre Daum, à Xavier Frison : les seuls) ont répondu
l’amitié, le dévouement de ceux avec qui je vis et écris en poésie,
l’espace restreint mais tenace de notre revue, moriturus, qui a publié
des textes essentiels pour que notre liberté demeure. A
l’incompréhension de quelques uns des miens, membres, par exemple,
éminents de ma famille (qui se crut longtemps humaniste) ont répondu des
hommes, des femmes que je ne suis pas près d’oublier. M. Maulpoix se
plaint d’avoir à débourser 8500 euros, tout frais de condamnation
compris. Pour ma défense et cette victoire, nous avons, nous, dépensé
plus de 10000 euros. L’argent de chacun d’entre vous a permis une
défense modèle, riche, argumentée, tonique et une victoire à laquelle
nous nous devions. Il reste environ 1500 euros non dépensés. Il est fort
possible, étant donné que les policiers pensent se pourvoir en cassation
(rien ne les lasse), que cette nouvelle procédure engloutisse le peu
qu’il reste. Si tel n’est pas le cas, une restitution au pro rata me
semblant plus que fastidieuse vu la centaine de donateurs, l’idée de la
réalisation d’un livre, un vrai nouveau moriturus qui dise le temps que
nous vivons, fait son chemin. Dans ce cas, il sera à chacun adressé,
avec l’amitié et la reconnaissance.

Brice Petit & moriturus

L’autre procès de Brice Petit

Brice Petit, reçu chez André Velter à France Culture (émission du
18/09/05), devait s’y attendre. Plan de l’émission : I. Croc-en-jambe
n°1 : 1. André Velter, après avoir vaguement parlé de la revue
"Moriturus" de Brice Petit et Cédric Demangeot, interroge son invité sur
son procès 2. Brice Petit y répond, il n’est pas interrompu, il
développe donc 3. André Velter lui demande abruptement alors le rapport
de tout ça au littéraire 4. Brice Petit y répond, assez brillamment,
mais ne peut aller très loin, car II. Croc-en-jambe n°2 : 5. André
Velter revient à nouveau, avec quelque incohérence apparente, sur le
procès 6. Brice Petit y re-répond, délaissant son développement sur la
langue 7. André Velter, derechef, et l’interrompant assez brusquement,
lui demande wieder einmal ce que cela a à voir avec le littéraire 8.
Brice Petit, retente encore de développer la question III. Pas de titre
(ou : A pieds joints sur l’adversaire) : 9. Velter coupe l’émission,
sans qu’elle ait pu réellement démarrer à l’issue de ses deux
crocs-en-jambe, sur l’amateurisme de Moriturus (omission de l’adresse
postale dans le numéro 5). Le tout n’a pas duré dix minutes. En effet,
dans ce n°5 de Moriturus, Brice Petit écrivait, p. 92 : « ornitophiles
bégaiements / la collection poésie gall. ment ment ». André Velter, qui
est le directeur de ladite collection Poésie chez Gallimard, n’a
certainement pas dédaigné de faire comparaître cet homme déjà blessé
pour un second procès à titre privé et sans possibilité d’appel.

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?