LA SYNARCHIE N’EST PAS UN COMPLOT, C’EST UN ECHEC

La synarchie (littéralement : régner ensemble), élaborée et instaurée par un consensus des élites au XXème siècle en France et partout en Occident, n’est pas un complot, c’est une construction politique fondée sur des forces et des corps intermédiaires organisés et opposés. Faite de rapports de forces et de régulations désormais déséquilibrés, bousculée par le totalitarisme corporat d’un côté et l’émergence souterraine de la coopération multilatérale, vitale pour la population, la synarchie devra évoluer en intégrant cette 3ème force contre le Capital prolifératif, ou s’effondrer totalement et laisser place à l’inconnu. Maintenant, il va falloir à nouveau plancher. Petite contribution indépendante et non sollicitée à cet exercice de style

En voyant, un président Hollande de gauche faire encore plus néo-libéral à l’intérieur et néo-conservateur en politique étrangère que son prédécesseur de droite, les apparences ne sont plus sauves, Rome n’est plus Rome. Le bon peuple, par la voix de Ben Smith s’écrie : « Nous sommes dans un complot établi officiellement par les parti dominants ».

Il est de mon devoir de membre autoproclamé de l’élite intellectuelle socialement déclassée (pour avoir toujours refuser de manger de ce pain-là), de rappeler au petit peuple dont je fais partie, qu’il n’y a pas que les partis dans ce « complot ». En fait, en France, il est question ici d’un accord qui a été négocié après-guerre entre le PCF et les syndicats (armés pendant la résistance), les gaullistes (qui contrôlent l’armée et les préfectures) et le grand capital (Banquiers, héritiers du Comité des Forges, industriels).

Le consensus d’après-guerre s’est forgé quand le grand capital s’est engagé à renoncer à instaurer une dictature à la place de la République en échange d’un dépôt des armes par le PCF. Là il faut rappeler que le modèle bicéphale de l’Etat de Vichy (qui s’est effectivement incarné par le binôme Pétain-Laval) avait été conceptualisé très tôt dans les années 30 par une bande de fumeurs de cigares*. Le parti Communiste a d’autant plus facilement accepté de rendre ses armes et ses munitions de FFI, qu’il était en situation d’aller tranquillement à la soupe par les urnes. Les syndicats et les socialistes avaient déjà renoncé depuis longtemps à décapiter le capital et la finance. Ils l’avaient démontré dès 1936 en préférant sauter sur leurs bicyclettes pour profiter de leur semaine de congés payés. Après-guerre, les syndicats ont reçu le droit de gérer la Sécurité Sociale. Ils ont surtout vu leur rôle officialisé dans l’édifice Républicain par leur adoubement dans les négociation par branches professionnelles**. La synarchie est, en France, la synthèse républicaine du capitalisme et de son ennemi de cent ans, le socialisme de revendication et de redistribution.

Passée la parenthèse de la guerre, en France, nous sommes donc restés officiellement en « synarchie » (prononcez : « démocratie »), version 1936 modifiée 1945. La synarchie d’après-guerre, qui dure jusqu’à présent dans ses formes, n’a jamais été à proprement parler une démocratie, sauf en partie au sens de Ricoeur en ce qu’elle permet bien de faire coexister, en civilisant leurs conflits, des oppositions internes réputées inconciliables. Dans la synarchie du XXème siècle, le pouvoir n’est jamais au peuple. Muet, déclaré incompétent, vidé des élites, il est systématiquement exclu de la rédaction des lois et des choix stratégiques de la nation. Avant l’ère des réseaux, comment aurait-il pu formuler des avis et des opinions autrement que par des corps intermédiaires ? Comment aurait-il pu concevoir d’agir collectivement en-dehors d’organisations structurées ou de mouvements spontanéistes sans conséquences durables sur l’organisation sociale et économique ?

La synarchie d’après-guerre, qui perdure vaille que vaille, n’est donc pas spécialement démocratique. Il s’agit de « gouverner ensemble » un monde complexe, entre gens civilisés et éduqués avec qui on peut discuter et se disputer. Cet art est fait d’ententes, de marchandage et de confrontations. Il est pratiqué par les élites qui monopolisent soit les finances, soit les entreprises, soit les institutions, soit des sphères d’influence significative sur le public. Les élites synarchiques sont donc celles du capital, des syndicats, de la haute fonction publique, de la presse et du spectacle, et des partis qu’ils soient de droite ou de gauche.
C’est bien-sûr une construction maçonnique en cathédrale gothique, où chaque composante, chaque force qui s’oppose aux autres contribue de fait à la stabilité et à l’élévation de l’ensemble monumental. Ce genre de synthèse a eu ses équivalents dans les pays anglo-saxons et ailleurs en Europe, avec différentes variantes locales, par exemple les charities et les Eglises remplaçant à leur manière aux USA les aides publiques inexistantes.

Actuellement, la synarchie, déjà trahie de l’intérieur, est menacée aussi par la marge et la base. Elle est confrontée à deux forces qu’elle n’équilibre pas, ce qui explique les temps troublés que nous traversons. Il s’agit d’un côté du néo-libéralisme muté en hyper-capitalisme prolifératif, et de l’autre du paradigme émergent qu’il suscite et attise par opposition, celui de la fédération des coopérations multilatérales et horizontales dans la population.
Actuellement, il faut parler des visées totalitaires du pouvoir corporat. Conceptualisé aux USA en 1970 sous le nom de néo-libéralisme en réaction à la génération Hippie totalement inconsciente de ce à quoi elle s’attaquait, il s’est déployé depuis sur le monde, les institutions internationales et nationales et en a absorbé les élites politiques, y compris en France et en Europe. Cette force, celle du capitalisme suprématiste, fort de toutes les compétences mercenaires qu’il s’achète et dopé à la dette, a pris partout les pouvoir législatifs et exécutifs, après avoir monopolisé celui de la Presse.
Politiquement, il dérégule l’économie, bride les pouvoirs de l’état contre lui mais renforce l’autorité de l’état sur la population, fait multiplier par précaution les lois sécuritaires, déploie la troupe et marchandise tous les secteurs, y compris ceux de la sphère publique. Le capital a donc rompu, dès 1973 en France, le pacte synarchique de 1945.
30 ans plus tard, il en tire un avantage insolent, décisif, voire définitif. Désormais, le pacte synarchique est révoqué, bien que continuellement convoqué dans ses formes, qui sont celles des institutions et des symboles, que le capital instrumentalise désormais à son seul profit.

Face à ce déchaînement de toute puissance catastrophique, la coquille encore habitée des institutions ne peut plus compter sur aucune force identifiée en son sein pour réguler le monstre. La seule force qui existe encore face au capital, c’est celle non-discernable parce qu’exclue du nombre des acteurs élitaires qui comptent, à savoir, le peuple, la population. Mais la population dont il est question n’est plus la « masse » vidée de ses élites du XXème siècle, mais un réseau multiforme d’individus en interaction constante et non-localisée.

Il s’agit là de l’irruption d’une réalité sociétale et cognitive inédite, l’interconnexion horizontale des individus sapiens, de leurs associations d’idées et du renforcement coopératif de leurs projets de vie par le moyen de l’Internet. Voulue par tous, et favorisée par les gouvernements Occidentaux dans la mesure où Internet leur confère l’omniscience quantitative par NSA interposée, l’interaction libre des individus et la neutralité des réseaux a fait émerger un nouvel acteur dans le jeu de la complexité de la gouvernance, à la fois réactif et proactif, capable d’actionner de façon imprévisible des réseaux, des organisation et des ressources sans rapports les uns avec les autres.
Les individus qui entrent en résistance, concrétisent, en les entrecoupant de rendez-vous périodiques qui visibilisent leur existence à leurs propres yeux, des projets et des vues qui échappent tant à la logique du capital qu’à la logique de l’Etat, c’est-à-dire, tant à l’économie managérialement militarisée des entreprises de capital, qu’à l’économie administrée, ponctionnante et redistributive de la sphère publique.
En fait, nous assistons parallèlement à la montée du nationalisme, à la renaissance et à l’émergence du tiers secteur économique, celui de la coopération multilatérale. A l’image du mouvemnet coopératif et mutualiste de la fin du XIXème siècle, mais plus fortement qu’à l’époque (à cause de la déconfiture du socialisme autoritaire qui ne lui fait plus concurrence) il se structure en force sociale, politique, économique et cognitive de façon accélérée sous l’effet cumulé de crise systémique : sociale, environnementale, économique, financière et monétaire. Il s’agit d’une force émergente, encore partiellement inconsciente d’elle-même et de ses contours, mais fortement motivée par la survie et par une éthique, qui pour être hétérogène, n’en est pas moins forte et largement immunisée contre les velléités de corruption par le privé et de clientélisation par le public.

C’est ainsi que la fabrique et la canalisation des opinions échappe désormais à l’influence exclusive des synarques en place. La population n’est plus seulement une « masse » qui s’oublie pour donner substance à des corps intermédiaires qui la trahissent, elle devient une somme d’individus, élites et « masse » confondues, interagissant et agissant sur un mode quantique et dont le rendu est à la fois prévisible statistiquement, et totalement imprévisible historiquement.

v. 0.8, janvier 2014
Vigilius Argentoratensis

* source Annie Lacroix-Riz (historienne), dans « La stratégie de la défaite »

** Le professeur Jean-Luc Mélenchon explique très bien ce dernier point qui lui tient à coeur dans ses leçons électorales

*** C’est l’analyse de Julien Coupat : avec un accord de dupe comme celui-ci, c’est le premier qui trahit qui rafle la mise. C’est le grand capital qui a trahi en France, puis en Europe, dès 1973 avec la loi bancaire passée en catimini. Coupat, moins informé, faisait remonter la trahison à l’ère Sarkozy.

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