Entre la Res Publica et le droit Privé, la Res Communis

Le droit moderne distingue entre le Droit Public qui régit la Res Publica, la « chose publique », la République, et le Droit Privé, dont les piliers principaux sont la liberté individuelle et la propriété, et dont relèvent les entreprises, y compris les multinationales, les banques, la grande distribution, l’industrie, les services, les médias, etc.

En droit, outre la Chose Publique et la Chose Privée, persiste une notion ancienne, celle de Chose Commune, la Res Communis. Celle-ci était définie en référence à des biens communs et abondants, comme l’air, l’eau etc. La Res Communis, revisitée avec les nouvelles données anthropologiques et environnementales pertinentes pour notre époque, peut fournir le fondement conceptuel d’une notion de droit indispensable pour accompagner notre changement d’époque. La Res Communis peut désigner à la fois un ensemble de ressources, de biens et de services qui peuvent être considérés comme un bien commun, soit abondants, soit à préserver ou à gérer. La Res Communis peut aussi désigner l’entreprise collective (immeubles, meubles, outils de travail, compétences, forces de travail, clients, fournisseurs, collectivités, voisinage) qui les produit, les préserve, les gère, en profite ou en pâtit. Dans les deux acceptions du terme, il s’agira de gérer ensemble ce bien qu’il soit commun ou « communalisé » dans les cas où il s’agira d’en retirer la gestion au seul secteur privé, c’est-à-dire aux propriétaires du seul capital.

Pourquoi faire émerger le concept de « Res Communis » ?

La crise systémique globale que nous connaissons au tournant du XXIème siècle survient au moment du passage de « l’ère de la croissance et de la concurrence » forcées à « l’ère de la régulation et de la coopération » non moins forcées.

Par nécessité de survivre dans la concurrence des nations et des acteurs économiques pour s’assurer l’exploitation des ressources et la domination des marchés, des secteurs de profit, la modernité européenne et son excroissance nord-américaine a lâché la bride au secteur privé, à son inventivité, sa réactivité, son initiative. Le droit moderne a créé une personne morale des entreprises privées et adaptée à cette course à la croissance assimilable à une course pure et simple à la survie d’acteurs en concurrence mortelle ou plus ou moins civilisée les uns avec les autres. Le geste du législateur qui a conféré à la propriété privée du capital un pouvoir sans partage d’initiative économique et de gestion des entreprises collectives humaines a été fondateur d’une civilisation qui a fini par prévaloir sur la planète entière. Mais le moment du triomphe absolu de cette civilisation correspond exactement au moment de sa fin. La civilisation de la croissance exponentielle exige un monde et des ressources illimitées. Le gouffre de l’espace s’avérant infranchissable à court terme, l’humanité se voit contrainte de changer de paradigme, ou de se résigner à transformer son environnement en désert global et hostile à la vie, à faire de la riante planète bleue un tombeau aride, battu par des vents torrides ou glacés.

Au moment de ce tournant et de ce choix, nous constatons que la chose privée, avec laquelle nous sommes tous plus ou moins compromis dans notre existence quotidienne, soit de producteur, soit de consommateur, soit d’assisté ou de victime, est hors de contrôle. Son influence est telle sur les décideurs du système que celui-ci se voit bloqué. La régulation longue par l’autorité publique, par la réglementation et le contrôle, est partout en déroute ou en retard d’une catastrophe, sur les plans monétaires, sanitaires, alimentaires, de santé publique, de pollution, d’orientation des politiques énergétiques, de diversité biologique, etc. Les réglementations sont à chaque fois trop lentes, édulcorées par les lobbies. Les autorités de contrôle sont dépeuplées, les services régaliens sont démantelés et vendus sous l’influence d’acteurs économiques privés capables de dicter leur loi tant aux élites des dictatures que des démocraties.

Dans un contexte de sclérose généralisée du débat politique et économique, seul le corps social, la société civile, la population, le peuple, les gens, les travailleurs, les chômeurs, les consommateurs, les fonctionnaires, les entrepreneurs, les chercheurs, etc., conscients de la situation et présent à tous les étages du système sont en mesure de conceptualiser et d’imposer les changements systémiques nécessaires. Encore faut-il qu’ils prennent le temps de les élaborer, de les débattre, des les choisir, de les organiser, de les imposer. Il est à prévoir que la redécouverte de la pratique directe de l’Agora pratiquée par les mouvements d’occupation des places Tahrir, de celles d’Athène, de la Puerta del Sol, de Wall Street, de Bruxelles, seront un moment important dans ce processus qui prendra des années, voir des décennies jusqu’à aboutir.

Dans la liste des options de régulation systémique, l’émergence de la notion de Res Communis est particulièrement prometteuse, que ce soit dans le domaine bancaire, monétaire et du crédit avec la crise financière, budgétaire et la récession qui accompagne la fin de la croissance, mais aussi dans tous les domaines où l’entreprise capitaliste de grande taille est devenue potentiellement (et souvent réellement) dangereuse ou dommageable si son orientation stratégique et son activité n’est pas pilotée dans une perspective commune et partagée entre tous les acteurs concernés.

La « mutualisation », la mise en commun à l’échelle adaptée, de la gestion stratégique de nombreuses entreprises de capital, dont celles du secteur bancaire (qui orientent encore actuellement toute l’émission monétaire par le crédit en fonction d’intérêts purement capitalistiques) apparaît comme une solution élégante, peut-être la seule à notre disposition pour résoudre, à la racine, de très nombreux problèmes qui préoccupent, indignent ou scandalisent, chacune dans leur domaine et séparément, les personnes correctement informées des dégâts causés tant par le système capitaliste, que sa généralisation et sa faillite.

Il est à prévoir que de très nombreux acteurs sociaux, économiques, associatifs, syndicaux et même les collectivités et des élites pourront être mobilisés par la perspective d’intervenir dans la gestion commune des banques, des sociétés touchant aux secteurs stratégiques de l’énergie, de l’agro-alimentaire, de la chimie, de la pharmacie, du nucléaire, de l’armement, des médias, du transport, de la grande distribution…

Il est à prévoir que de très nombreuses associations, collectifs de vigilance et d’initiatives citoyennes contre les dangers du nucléaire, contre les gaspillages et l’obsolescence programmée, contre la surexploitation des ressources ou l’extinction des espèces ou encore préoccupées par le sens et les conditions de travail, de pérennisation de services publics ou sociaux non-marchands, seront susceptibles d’être fédérées autour de ces concepts et ces pratiques de mutualisation de la gestion répondant à leurs préoccupations.

Les propositions liées à la démocratisation de la gouvernance des structures du méso-social, des entreprises, des banques, des collectivités, des territoires, des administrations, autant que de la gouvernance aux échelles nationales et régionales sont porteuses d’avenir en ce sens qu’elles apparaissent comme les seules solutions à même de répondre aux défis du siècle. Il est à prévoir que ce seront elles qui seront mises en avant par les mouvements sociaux de demain, amplifiés par la voix de millions de personnes privées du nécessaire autant que de leur liberté d’expression politique par un système figé, sclérosé, décadent et condamné. Elles portent en elles les germes de nouvelles pratiques, de nouvelles pédagogies démocratiques, mais aussi de nouvelles façons de se confronter à la perversion relationnelle, aux enjeux d’influence. Et en ce sens, si elles constituent une solution systémique authentique, elles ne seront, au quotidien pas une solution aux problèmes, mais une nouvelles façon d’y faire face, ensemble, dans la discorde ou la concorde, mais en tout cas dans la coopération plus que dans la concurrence. Et cela, ce ne sera pas la moindre de ses vertus culturelles, démocratique, humaniste ou spirituelle, mais aussi économique.

version du 12 octobre 2011

remerciements à Florian C., étudiant en Droit.

Tous droits réservés. Diffusez librement et gratuitement les contenus (articles entiers ou citations) de ce site avec mention obligatoire de la source http://vigilius.eutopic.info

Pour toute publication sur un support payant, contactez l’auteur :

CONTACT EMAIL

This entry was posted in Res Communis, Root Striking. Bookmark the permalink.

3 Responses to Entre la Res Publica et le droit Privé, la Res Communis

  1. F.C says:

    Merci pour cet article éclairant!
    Juridiquement parlant, les civilistes et les publicistes se sont trompés lourdement. Ils pensaient créer deux systèmes, l’un pour la res publica, l’autre pour la sphère privée. Mais quand on y regarde de plus près, on se rend compte que les deux sphères sont tellement entremêlées, qu’il n’est pas possible de les distinguer formellement. Airbus, les géants des télécommunications sont les enfants impies sortis du ventre de l’Etat. Les géants financiers prospèrent sur les lois accommodantes de nos puissants.

    L’énorme potentialité de la res communis, c’est, comme tu l’as dit, la voie médiane, quelque chose qui n’est susceptible d’appropriation par personne. C’est aussi le danger. Parce que si les outils de production, les transports, et l’ensemble de la structure sociétale sont gérés par leurs usagers, en interdisant une quelconque appropriation, il faut avoir la responsabilité qui va avec. D’où (et bizarrement ça se tient) la nécessité d’une éducation populaire. La res communis, a ce côté, c’est celui de lutter contre le phénomène d’irresponsabilité (ou d’assurance), enfants du capital (où l’on peut substituer les monnaies sonnantes et trébuchantes contre une négligence).

    L’autre sombre côté, c’est le versant psychologique de la propriété privée. Rien ne sortira de bon d’un système qui l’interdit totalement, sachant que je vois plus la propriété en tant que souvenir d’un homme, venu ici-bas, pour y laisser sa marque. Et-on le voit actuellement-rien de bon ne sors d’un système qui laisse une possibilité d’appropriation illimitée.
    Juridiquement, la res communis serait un statut sui generis, mais qui modifierait notre droit d’une telle façon que je ne saurai pas exactement limiter. Mais si nous remettons en cause la propriété sur cette voie, nous remettons en cause les principes de la révolution française (liberté-égalité-propriété).
    Dans tous les cas, il faut creuser, puisqu’à mon sens, c’est la bonne voie!
    Merci encore pour cet article!

  2. Yannick85 says:

    Hello, je recherche des info au sujet du droit public, car j’ai vu ce site http://www.sebastien-palmier-avocat.com hier mais le site n’a pas assez éclairé je pense que c’est qu’il informe ce qu’il sait faire mais pas l’activité d’ un avocat du droit public en général. Apres je peux me tromper 🙂
    Par exemple est ce que le droit administratif s’integre au droit public ou c’est un domaine a part entière ? Car j’admet que le droit public est tres vague pour ma part.
    Merci par avance

  3. Hmm it seems like your website ate my first comment (it was super long) so I guess I’ll just sum it up what I submitted and say, I’m thoroughly enjoying your blog. I as well am an aspiring blog writer but I’m still new to the whole thing. Do you have any tips and hints for inexperienced blog writers? I’d genuinely appreciate it.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *