Le mouvement « Nuit Debout » de 2016 en France rencontre les mêmes difficultés que ses prédécesseurs. En 2011-2012 (avec Occupy Wall Street, DRY, Indignados, 15M), le mouvement social avait déjà testé des assemblées décidant à la majorité et des assemblées décidant au consensus. Pour améliorer ce dernier, le mouvement de la Puerta del Sol avait élaboré une approche constructive du dissensus (l’absence de consensus). En cas de désaccord persistant, la fraction irréductible mène son action de façon autonome. La formulation en était assez complexe et avait tendance à connoter l’irréductibilité comme un échec du consensus, ce qui n’a pas facilité sa transmission et sa à mise en pratique. Parallèlement à cette évolution chez les activistes, le mouvement des Communs et de la Transition systémique propose une nouvelle forme souhaitable d’organisation, celle où les assemblées ou les groupes mettent en oeuvre la stigmergie, la libre agrégation des initiatives et des contribution des individus et des sous-groupes affinitaires ou spécialisés. C’est la forme d’organisation non centralisée des insectes sociaux depuis 300 millions d’années.
Au sujet de la gouvernance démocratique du mouvement social, inutile de parler ici de la décision à la majorité qui était à la mode jusqu’au XXème siècle, puisque qu’elle se fonde sur la recherche d’un rapport de force majoritaire, ce qui dégrade l’intelligence collective du groupe, démotive la minorité et conduit à la division et à l’affaiblissement du mouvement. Pour y résister, le système majoritaire s’adjoint une morale (sacralisant l’obéissance à la ligne du Parti, à la cause) et menace les récalcitrants de sanctions ou d’exclusion. Passons.
Un mouvement social ne peut pas non plus être piloté au consensus. Le bilan de Occupy/Indignés 2011 démontre que le consensus est torpillé en milieu ouvert par les pervers relationnels, par les sous-marins de l’establishment et par les fauteurs de division idéologiques pour qui l’orthodoxie est toujours plus importante que le succès du mouvement.
Un autre inconvénient du consensus – qui reste un idéal de l’intelligence collective atteignable et souhaitable – est qu’il se construit par des discussions, des apprivoisements et des itérations qui demandent du temps. C’est alors la Commune qui ergote pendant que les Versaillais canonnent aux portes de Paris. De façon plus générale, le consensus seul, en soumettant les initiatives individuelles ou affinitaires à l’autorisation du groupe, tue la spontanéité, la réactivité et s’assimile à une bureaucratie pesante et un éteignoir.
C’est pourquoi, une nouvelle forme d’organisation collective est en train d’apparaître, tant chez les porteurs de projets collectifs que chez les activistes du mouvement de contestation.
C’est la forme stigmergique, qui permet à la fois la libre agrégation des énergies, des initiatives et des bonnes volontés, sans imposer le rituel de leur adoubement par l’assemblée, adoubement qui ne vient jamais à cause des blocages des provocateurs. L’assemblée a dans cette nouvelle forme de mobilisation (et de dynamique de mobilisation croissante) pour rôle d’être la caisse de résonance (de raisonnement élargi) et de coordination au consensus des initiatives de terrain. Ces initiatives sont imaginées par des acteurs autonomes qui viennent se coordonner et chercher des ressources et du conseil élargi dans l’assemblée. La mise en oeuvre d’une action ne dépend donc pas d’une autorisation de l’assemblée, sauf si s’y formule une objection qui convainc les intéressés eux-mêmes. Elle dépendra de la capacité des initiateurs à mobiliser des volontaires et des ressources.
Il est fort probable que la démocratie « de stigmergie et de palabre » des prochaines vagues du mouvement social emportent enfin des digues intérieures désormais bien identifiées et qui en limitaient les capacités de mobilisation et d’action. Les assemblées ne seront enfin plus des locomotives grinçantes, contraintes de chercher à avancer tous freins serrés à cause de toutes les différences de tempéraments et de culture d’action, mais bien le lieu d’où les actions partent ou se font connaître, quelles que soient les objections et les manoeuvres de ceux dont le métier, la vocation ou la médiocrité consiste à les empêcher. Comment ? En donnant à l’assemblée son rôle, et pas plus, qui est de définir dans quelle direction générale tout le monde veut aller, et en laissant chacun-e libre de la manière d’y aller, puis de veiller tout de même à suppléer au manque de discernement de ceux qui mésusent de cette liberté.
VA, copyleft, octobre 2014, texte librement reproductible, réutilisable, modifiable, y compris à un usage commercial, mais en faisant mention de la source : http://vigilius.eutopic.info et à condition que le texte modifié soit publié aux mêmes conditions.
référence théorique en Français ici :
http://www.lilianricaud.com/travail-en-reseau/la-stigmergie-un-nouvelle-modele-de-gouvernance-collaborative