Sociétés Anonymes contre Démocratie

Nous n’avons pas de prise démocratique sur les sociétés anonymes, multinationales ou non. Leur activité a des répercussions démesurées sur nos vies et sur le destin politique des nations. Elles sont à l’origine de bien de nos maux. La solution radicale à ces maux passe par la réforme de ces acteurs économiques tout-puissants. Cette réforme n’est possible que par une volonté politique et seul un mouvement social d’ampleur sans précédent est à même de porter une telle volonté politique de changement.

L’histoire récente de l’inflation législative favorable aux seuls intérêts des multinationales, de l’impuissance des agences de contrôle démontre qu’il est impossible de réguler, de contrôler, de civiliser, d’humaniser les sociétés multinationales et les sociétés anonymes par le droit, par la règlementation. Ce sont elles qui produisent le droit dans tous les secteurs où elles ont des intérêts, c’est-à-dire, bientôt, dans tous les secteurs. En dictature, elles achètent les dictateurs, en démocratie, elles favorisent décisivement les campagnes médiatiques des seuls candidats qui leur renverront l’ascenseur, qui du coup sont les seuls à avoir une chance d’être élus. La démocratie représentative est structurellement otage des lobbies, et le lobby bancaire et financier n’est qu’un cas particulier. Le même phénomène joue à plein dans l’agro-alimentaire, le nucléaire, le pétrole, la pharmacie, l’armement où l’on ne compte plus les lois et les pratiques politiques scélérates à l’endroit de l’intérêt, de la sécurité, de la santé, de la liberté du petit peuple. Sauf cas exceptionnels relevant de la qualité individuelle de certains dirigeants et cadres, il est structurellement impossible de réguler, de civiliser, d’humaniser l’activité des sociétés anonymes et des multinationales, surtout avec le chantage au chômage et à la délocalisation qu’elles pratiquent sans vergogne dès qu’elles voient leurs intérêts immédiats ne serait-ce qu’égratignés.

Il n’y a doc pas à tortiller, il faut sortir du capitalisme au sens technique et étroit du mot, c’est-à-dire du système de droit qui donne tout pouvoir aux seuls actionnaires dans les entreprises et du système monétaire qui lui confère la toute-puissance. Sinon, le phoenix anthropophage renaîtra toujours de ses cendres, reprendra toujours l’avantage sur l’état et le corps social, suscitera toujours de nouvelles kleptocraties à partir de n’importe quelle révolution faite ou à faire.

Il n’y a que deux solutions pour retirer le fondement-même de la puissance monopolisée par les possédants grâce au droit de la propriété et au droit des affaires :
1. Nationaliser et gérer les entreprises de façon centralisées, ce qui marche assez mal et n’enthousiasme plus grand monde. C’est le modèle daté historiquement du centralisme soviétique en URSS et ailleurs au XXème siècle.
2. Proposer de démocratiser la direction des sociétés anonymes et des multinationales elles-mêmes en leur laissant le statut d’entités autonomes, mais gérées démocratiquement en interne par des Assemblées Générales multilatérales chargées d’impulser et de contrôler leur stratégie, leur organisation et leurs pratiques et responsables sur les plans éthiques, sociaux, environnementaux et politiques (et non plus seulement financier) afin de remédier à leurs nombreuses dérives internes et externes.

Cette deuxième solution serait une évolution à penser à partir du mouvement coopératif et mutualiste de la démocratie directe au consensus, et qui instituerait la notion de gestion multilatérale des entreprises de grande taille (non pas par les seuls actionnaires, non pas par les seuls travailleurs, non pas par les seuls sociétaires).

Par le nombre de personnes, de territoires qu’elles font vivre, par leur impact sur l’environnement, par leur dangerosité potentielle, les entreprises multinationales, fruit du génie et du labeur humain, héritières des savoirs issus du domaine public, commun à l’humanité, sont à considérer démocratiquement comme des « biens communs » à extraire du droit privé, à gérer en commun selon un statut tiers, ni privé, ni public.

La solution de gestion multilatérale des « biens communs » n’est ni de droite, ni de gauche. Elle allie le pragmatisme de la liberté entrepreneuriale (chère à la droite et à la gauche libérale) au progrès social et environnemental (chers à la gauche en général et aux écologistes). Elle institue une régulation courte des systèmes par la participation de toutes les parties prenantes à leurs Conseils et directoires. C’est bien-sûr une proposition révolutionnaire sur le plan du droit de la « personne morale » des entreprises et de leur gouvernance. Elle suppose aussi certainement de remplacer la recherche d’investissements capitalistiques par le recours à des acteurs démocratisés de création monétaire par le crédit (1), autre organe de régulation externe de leur activité. Mais, après l’échec de l’état et des institutions internationales, c’est peut-être le seul moyen de mettre l’humain et la préservation de la planète au centre des préoccupations des acteurs économiques eux-mêmes.

Les multinationales cesseraient d’être des acteurs prédateurs en interne avec leurs propres employés et en externe avec les ressources naturelles, les appareils et les institutions politiques qu’elles rendent autoritaires et belliqueuses et les populations prises partout en otage jusqu’au moindre recoin de leur existence. Elles cesseraient d’être irresponsables, gouvernés par le non-sens, à savoir le profit pour lui-même, seul objectif quantifiable qui puisse être pris en compte par des actionnaires anonymes et des investisseurs financiers dépourvus de tout moyen d’infléchir les politiques entrepreneuriales à partir de leur éthique individuelle et de leur sens des responsabilité globale, qu’ils peuvent avoir, mais qu’ils ne peuvent pas exercer en tant que tel.

Dans le cadre du système actuel, les « 1% » sont des êtres humains aussi, mais ils n’ont aucun moyen de le prouver. Même le ruissellement humanitaire provenant de leurs montagnes de richesses accumulées n’irrigue plus, ne fait plus fleurir les sourires, ne fait que creuser, éroder et ne contrecarre pas la désertification. Ils s’enorgueillissent de « faire vivre » des centaines de milliers d’employés, mais se voilent la face sur les centaines de milliers ailleurs qu’ils « laissent mourir », qu’ils condamnent à la misère, à l’empoisonnement, à la mort violente. Ils sont humainement les premiers otages d’un système de guerre économique patiemment construit, d’autant plus otages qu’il les enrichit sans limites, irrémédiablement.

Vigilius Argentoratensis
première mise en ligne 21 décembre 2011

(1) C’est l’objet de la « révolution monétaire », elle-même également indispensable pour sortir du capitalisme en remplaçant la notion de « financement » par celle de « monétarisation ».

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